Les sagas fantastiques

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Ma vie me surprendra toujours.

La vie, en général, est surprenante; mais la mienne, pour ainsi dire, me sidère quotidiennement. Je l’observe et la scrute avec la plus grande curiosité. Presque, avec un émerveillement d’enfant. Comme si j’avais en face de moi une créature étrange et inconnue que je souhaiterais apprivoiser.

Mon parcours, bon an mal an, est généralement divertissant, jamais monotone. Je suis fréquemment sortie de ma zone de confort; ai-je pris une habitude que déjà j’en change, par goût ou par nécessité. J’expérimente un nouveau mode de vie, pour mieux en adopter un autre quelque temps plus tard. Je cumule, depuis vingt ans, une multitude de déménagements et d’emplois (et beaucoup moins de relations affectives, Dieu merci). Je semble être à une croisée des chemins permanente, comme Dorothée dans Le magicien d’Oz.

Oui, je l’admets, j’adore les sagas grandiloquentes. Le mot « routine » pourrait, en ce qui me concerne, être rayé du dictionnaire à tout jamais. J’aime vivre avec emphase, théâtraliser, poétiser l’existence. Et cultiver l’art de me réinventer.

Et pourtant, je demeure fidèle à moi-même. Dans mes contradictions ou mes paradoxes, dans mes élans et mes envies, la seule constante est toujours l’expérimentation. Je suis une essayeuse, c’est ainsi. J’apprends sur moi-même en testant, en essayant, en passant à l’acte. Vais-je aimer ce que je vais vivre? Que vais-je apprendre sur le monde, comment vais-je évoluer dans le processus? Mon idéalisme est sans faille, ma curiosité insatiable. Je suis mille fois plus audacieuse à quarante qu’à vingt ans. Mes peurs et mes résistances s’amenuisent de jour en jour, à mesure que le temps file et m’exhorte à l’action juste.

Lorsque, parfois, je ne comprends plus ce que la vie veut pour moi, que je ne décode plus les signes et que je dérive, je me rappelle ce petit refrain quétaine d’Adamo : « C’est ma vie, c’est ma vie, je n’y peux rien, c’est elle qui m’a choisie… C’est ma vie, c’est pas l’enfer, c’est pas l’paradis… » Et je me dis que voilà, peu importe le chemin et les moyens, il faut vivre sa vie, telle qu’elle est, telle qu’elle se présente, telle qu’on la sent intérieurement. Il y a de la place pour toutes les expérimentations, toutes les formes, les vies tranquilles et les vies qui décoiffent. L’important, c’est d’apprendre, de partager, d’évoluer en toute authenticité, de choisir et d’assumer. De vivre sans regrets. Et d’aimer. Pour ma part, j’aime m’imaginer à 97 ans, souriant sereinement dans ma chaise berçante, heureuse d’avoir bien vécu. Et encore heureuse de vivre.

Ainsi, j’en profite pour vous dire que ma nouvelle saga est toute paisible. Elle se déroule dans le décor d’un charmant village. Plus précisément au sein d’une idyllique maison d’époque avec devant, le fleuve qui s’offre tel un géant, et derrière, un boisé peuplé de cerfs et de hiboux qui hululent la nuit. On y veille sur la galerie en regardant le ciel virer au rose en attendant le lever de lune et son déluge d’étoiles. C’est une vie de villégiature, où l’âme se dépose doucement. Et c’est bon, très bon.

Je pense, non, je ressens que je n’aurai désormais plus envie de changer de vie. Je vais continuer à expérimenter, bien sûr. Je voyagerai. Je changerai encore d’emplois et d’avis, à coup sûr. Je me réinventerai sans relâche. Mais j’ai la nette impression d’avoir enfin trouvé mon port d’attache, mon havre de paix, mon nid d’amour, mon décor de rêve pour me bercer, nonagénaire indomptable, avec mon chéri et mon chignon blanc.

L’avenir nous le dira. Mais ce qui est certain pour l’instant, c’est que, n’en déplaise à Adamo, c’est pas l’enfer. Et ça ressemble vraiment beaucoup au paradis.